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12/09/2019

Notre temps figé par l'image trompeuse ?

Nous ne savons plus d'où nous venons, ni où nous allons. Plantés dans l'instant, nous sommes telles des statues de sel : pétrifiés, médusés, comme sous le coup de l'émotion ; ou changés en narcisse à force de nous (ad)mirer. Oscillant entre le détachement, la démission ou le rejet du présent. Et si nos existences figées et la fascination des images qui fixent l'instant présent, étaient les deux faces d'un même problème ?

Oh ! certes, nous bougeons. A rendre floue toute photographie prise sur le vif. A nous rendre fous. Mais pour quoi faire ? Nous remuons et nous appelons cela agir. Nous faisons vite, mais faisons-nous bien ? Cette fureur de vivre ne nous conduirait-elle pas en fait à tourner en rond ? Centrés sur notre petit monde, focalisés sur nous-mêmes. Et notre principale préoccupation ne serait-elle pas notre image, notre réputation ?

Alors que le festival Visa pour l'image de Perpignan va s'achever, remémorons-nous le regard critique qu'il y a une vingtaine d'années deux hautes personnalités portaient sur notre civilisation de l'image, de la représentation. Ainsi, la photographie n'apparaissait pas aux yeux de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, «comme une fin en soi». Quant au philosophe Jean Baudrillard, il s'en prenait au photojournalisme et à sa tendance à «privilégier toujours le spectaculaire».

«Garder son regard derrière un objectif est réducteur, expliquait le premier au Figaro Magazine. On peut manquer des actions qui se déroulent hors champ, un cadrage peut se révéler trompeur. Il est important de laisser libre son regard pour capter l'ensemble des événements. Ne pas se focaliser sur des images mais sur des rencontres, des témoignages, des recherches. L'acte photographique peut empêcher de voir.»

«Il est important de ne pas figer une réalité visuelle sans l'accompagner d'un texte. La vie, la continuité d'une image passent par l'écriture. Sinon une image s'avère réductrice de la réalité et peu fiable.» Le second renchérissait dans Le Monde : «C'est se faire beaucoup d'illusions que de croire que les images peuvent témoigner de la réalité. L'image est une représentation autre que le réel. On transmet bien plus d'informations avec le texte».

De plus, en "temps réel", sans recul, «le temps de la réflexion est court-circuité. L'écran a brisé la distance entre l'événement, l'image, la perception. L'écran fait écran à l'imagination». "Sortir des clichés" pourrait donc peut-être nous aider à sortir de L'ignorance, titre d'un roman de Milan Kundera qui pensait que l'homme est incapable de juger le présent, d'y adhérer, s'il ne sait pas vers quel avenir ce présent le mène.

21/09/2018

Contre la médiocratie, vouloir comprendre pour (se) sauver

Expliquer le monde, quoi de plus difficile quand IL FAUT "faire simple". "Trop compliqué" disent certains qui semblent presque revendiquer leurs limites, voire s'en vanter. Mais c'est le monde qui est compliqué ! "Lire tous ces livres, c'est pas du boulot !", "Ah vous lisez, vous n'avez rien d'autre à faire !?", voilà quelques remarques qu'on peut entendre, signe du mépris de notre temps pour la chose écrite et pour le travail intellectuel.

Mais n'est-ce pas logique quand la lecture n'est vue que comme une détente ? Il n'y a pourtant pas que des romans à l'eau de rose ou des romans de gare. «La caractéristique de l'époque, c'est que l'homme vulgaire, tout en se sachant vulgaire, ose affirmer le droit à la vulgarité et l'impose partout» disait José Ortega y Gasset. A contrario, on peut tenter de comprendre le climat actuel pour le restituer le plus fidèlement possible.

L'écrivain et philosophe Régis Debray a publié en 2007 Aveuglantes Lumières, Journal en clair-obscur chez Gallimard. Il faut se concentrer, lire plusieurs fois des passages, accepter que certains passent au-dessus de la tête, mais persévérer parce que c'est l'honneur d'un être pensant que de vouloir comprendre. Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il ne faut pas oser, c'est parce qu'on n'ose pas que tout devient difficile (Sénèque).

C'est plus difficile que le sport, les variétés, les jeux, les séries ou les informations à la télé, qui sont les émissions les plus regardées. Mais si on peut passer plus de trois heures trente en moyenne chaque jour devant le poste (sans parler des autres écrans), on peut bien lire une heure ou deux, non ?! Dépasser ses limites intellectuelles est également digne d'estime. Ou alors, il ne faut pas se plaindre de ne rien comprendre et il ne faut s'en prendre qu'à soi-même.

Donc, Régis Debray écrivait ceci : «Le trait majeur du climat spirituel où baigne notre présent, et dont je n'aperçois guère de précédent dans notre histoire, n'est-ce pas la peur amputée de l'espoir ?». Voilà, tout est dit. Bien sûr, il faut lire quelques pages avant d'en arriver là, mais tout à coup, l'on comprend mieux. D'autant qu'il complétait son propos dans une page du Monde, à lire et relire avant de saisir, et encore pas tout.

«Nous ne faisons partie d'une nation (...) qu'en mémoire et en espérance. L'union des grains de poussière n'existe que par et dans une verticale. Supprimez la profondeur de temps, et les séparatismes vous sauteront à la gorge.»Tocqueville disait : «II n'y a au monde que le patriotisme ou la religion qui peuvent faire marcher pendant longtemps vers un même but l'universalité des citoyens». C'est là ce qu'il nous faut : de l'excellence et de la grandeur, voire du génie. Les plaies de la société française ne peuvent plus souffrir la médiocrité intellectuelle et morale.

25/11/2014

Victoire de la démocratie ?

Rappelez-vous. La démocratie avait été désignée par beaucoup de commentateurs comme la grande gagnante de l'élection présidentielle de 2007. Les foules dans les meetings, la participation électorale... témoignaient pour nos "experts" d'un regain de vitalité démocratique. Mais en s'appuyant sur les propos tenus à l'époque par Denis Muzet dans le journal Le Monde, on pouvait se demander si l'explication de cet engouement ne résidait pas plutôt dans «l'attente des citoyens, leur désir de politique» qu'il jugeait «considérable». Nuance !

Car pour ce qui est de la démocratie, ce sociologue des médias qui dirige Médiascopie, institut d'études spécialisé dans la mesure et l'étude de l'impact sur les publics de la communication et des médias, et qui préside l'Observatoire du débat public, était plutôt très inquiet, du fait que disait-il «on est passé de la conviction à la croyance». Avec cette tendance chez nombre de candidats et de candidates à ces élections d'emprunter à l'histoire ou au religieux.

Les raisons de ce glissement sont multiples. «On assiste à un bombardement quotidien d'infos brèves, ce que j'appelle la "mal-info", constatait Denis Muzet. (...) C'est le règne du "fast news", qui submerge les individus, et qui a l'avantage, parce que l'info est plus courte, d'être plus crédible. Or, la politique n'échappe pas à ça. L'information politique est en miettes, ce qui ne favorise pas l'émergence de sens.» Comment reconstituer le puzzle ?

Trop d'infos tue l'info : «les gens sont largués ou bien ils ferment les oreilles et attendent que ça passe. Pour certains il y a saturation». Et puis, «La politique est illisible aussi en raison de la complexité des enjeux, par temps de mondialisation. Nos enquêtes montrent que dès qu'un dirigeant tient un raisonnement macroéconomique ou macro-social, les gens décrochent. Ils n'entendent que ce qui relève de leur quotidien».

Quant à ce qu'ils retiennent... «C'est une tendance lourde depuis vingt ans que cette difficulté croissante à écouter un homme politique parler. Autrefois, quand nous interrogions les téléspectateurs après une émission, la mémorisation était bonne. Aujourd'hui, elle a diminué comme peau de chagrin, les gens se souviennent de moins en moins de ce qui a été dit, ils se rappellent d'un geste, d'un sourire, d'une intonation ou d'une formule.»

«Même la fameuse petite phrase est devenue trop longue» ; il faut descendre à l'échelle du mot. Fini «le discours argumentatif». Place à l'image, aux symboles : à «l’agir». On ne peut s'empêcher de rapprocher cela des observations du "collectif pour la refondation de l’École" portant sur l'insuffisante maîtrise de la langue française et sur le recul de la capacité de raisonnement. Tout cela ne peut pas faire une démocratie bien vaillante.